Juliette est concentrée sur un carnet, dans son salon. Elle est en train de dessiner des croquis de mains, sur lesquelles sont symbolisées des bagues. Il y a aussi des numéros, qui correspondent à la taille des doigts. J’essaye de l’épier, pour comprendre, elle me jette un regard agacé… Je décide alors de l’interroger sur sa pratique. Elle répond sans sourciller, ses phrases sont précises comme les bijoux qu’elle façonne.

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Dis-moi, comment te procures-tu
tes matériaux de travail ?

Je visite des bijoutiers et négocie leurs vieux stocks, je me balade dans des vide-greniers, à Emmaus. Sur Internet aussi. Ils y a aussi mes clients qui me fournissent leurs vieux bijoux en vue d’une nouvelle vie.

Quels sont les matériaux
que tu recherches ?

Des bijoux en or ou argent uniquement.

Les bijoux sont trop usés, cassés, ou simplement ils ont lassé, les gens n’en veulent plus. J’évite d’intégrer des pierres, ce que j’aime c’est vraiment le matériaux métal. Parfois je trouve en gros : comme mes bobines de chaîne, mais j’évite. Ensuite tu les transforme comment ? D’abord je crée mes idées personnelles que j’ai en tête. Je montre ces résultats sur Instagram et dans différents évènements, j’en parle autour de moi. Ces créations ont influencer les commandes de mes clients, c’est eux qui s’adaptent à mon univers.

Bien entendu je dois m’adapter a certains matériaux irréductibles que les gens m’apportent, auxquels ils tiennent. C’est un dialogue. Par exemple, j’ai dû récemment travailler avec une perle de culture de Tahiti, d’habitude je déteste ça ! Je le prend comme un défi : j’ai appris à l’accepter et à travailler avec, autour.

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Comment procèdes-tu ensuite ?

Quand je me lance, je ne fais quasiment jamais de dessin. J’aime travailler directement, expérimenter par la matière, pas en amont. J’ai toujours plusieurs travaux en cours, car il y a des temps de pause à respecter selon les différentes étapes. Là j’ai un tas de bijoux que j’ai récolté. Je sépare l’or et l’argent d’abord. Ils seront chacun traité différemment.

Ma deuxième étape c’est le tri : par exemple les grains de café, je les réserve, ces maillons aussi. Ils peuvent resservir tels quels. De cette manière je crée une archive d’existants rangés par catégories. Ces pendentifs ne me plaisent pas, ils vont être fondus.

Pour fondre, il me faut de la quantité, je les rajoute avec plusieurs gourmettes abîmées , quelques bagues, une chute de collier. Je les met dans un creuset, et je les chauffent au chalumeau jusqu’à obtention d’une flaque d’argent ou d’or. Cette flaque durcit, et devient d’abord un petit galet. Je le passe au laminoir, ça évolue en petit lingot carré. Bientôt j’aurais un lingotière, je coulerai directement dedans, ça m’économisera cette étape. Je passe et repasse ce fil carré en le recuisant régulièrement pour l’affiner via les onze crans de mon laminoir. Ce jusqu’à pouvoir le passer dans la filière afin d’obtenir un fil de section ronde. La filière a plusieurs diamètres, je tire le fil en fonction de ce qui m’attend. C’est la base de mes créations. Je manipule ce fil, le tord, le coupe, y soude des éléments parfois.

Si je relie chaque extrémités en les soudant pour orner un poignet, ça devient un bracelet simple : un jonc. C’est la technique du brasage. Pour souder, je fais en sorte que mes deux extrémités n’aient pas d’aspérités, que le contact soit franc. Je pose une crème à base d’eau et de borax, cela permet d’éliminer les impuretés qui gêneraient l’adhérence de la soudure. Ensuite j’apporte un paillon de brasure (petit morceau de soudure, un alliage qui fond rapidement). Il se colle avec le borax, je chauffe l’intégralité du bijou, Cela permet d’homogénéiser la température de l’objet, puis je me concentre sur la zone de travail, jusqu’à fusion du paillon. Quand la soudure est finie, je jette le bijou dans le déroché, un liquide chimique qui va éliminer la couche de borax restante. Je le rince ensuite à l’eau froide et je le nettoie. Puis viens la phase de polissage, pour parfaire la finition.

Parfois le public ne s’en rend pas compte mais c’est très long ! Je dois vous avouer que moi aussi je ne m’en rend pas bien compte, parce que j’adore ça, je ne vois pas le temps passer ! Je dirais qu’une création unique assez complexe à partir d’un bijou ancien, c’est deux jours de travail.

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Subjuguant !
Où as-tu appris tout ça ?

Au lycée professionnel Léonard de Vinci, à Endoume ! Ensuite j’ai travaillé 11 ans chez Frojo, c’est une grosse bijouterie marseillaise qui vend des marques de luxe. J’y ai fréquenté des gens géniaux qui m’ont beaucoup appris. J’ai compris l’importance de l’organisation, l’amour d’un travail rigoureux, l’importance des échanges entre chaque corps de métier, leur complémentarité. Pourtant au bout d’un moment je m’ennuyais, il me manquait des libertés, je n’arrivais plus à trouver du sens dans ce que je faisais. Il fallait que je développe un projet plus personnel.

Quel est le moment
préféré de ton travail ?

Quand le client m’a apporté un bijou que j’ai fondu et transformé pour en faire un nouveau, il faut voir sa tête quand il le découvre... C’est un moment magique, rempli d’émotions. Il y a souvent une histoire derrière ces objets anciens, intrinsèquement liée à celle de son propriétaire. J’ajoute quelque part un nouveau chapitre, et ça, ça n’a pas de prix !

Quel est ton but
dans ce métier ?

M’épanouir dans mon métier, réinventer la beauté en revalorisant au maximum les métaux précieux que je trouve ou que l’on me confie, sans passer par des coopératives comme le Comptoir de l’Or par exemple. J’aime tout faire par moi-même, avec mes moyens. Cet artisanat en circuit court, c’est ma manière de repenser les moyens de production, en phase avec notre planète. C’est un art de vivre familial dans lequel j’ai grandi : mes parents ont toujours préféré réparer, trouver, réadapter, plutôt que d’acheter du neuf. Je ne me rendais pas compte, mais ils étaient quelque part précurseurs dans cette démarche aujourd’hui indispensable. Ce sont finalement eux qui m’ont inspirés !

Interview par G. - B.L.F.